Monsieur le Premier Ministre,
Vous qui avez – et avec quel talent – exalté le
génie de Napoléon pendant les Cent Jours, vous qui avez défendu – et avec quelle
ardeur – la fierté de la France au siège des Nations-Unies à New-York, vous
qui, en héritier du général DE GAULLE, célébrez à chaque occasion la grandeur de
notre pays, pouvez-vous tolérer qu’aucune célébration officielle ne soit prévue
pour commémorer le bicentenaire de la victoire d’Austerlitz, le 2 décembre
prochain ?
Pourtant, voici l’une des plus belles victoires françaises ! Gergovie, Marignan,
Austerlitz… tous les écoliers de France connaissent ces noms de batailles
glorieuses.
La commémoration de cette victoire me paraîtrait en tout cas autrement plus
pertinente que d’envoyer notre cher porte-avion Charles-de-Gaulle… à
Trafalgar !! Au moment où s’étendre à n’en plus pouvoir sur le « déclin de la
France » est devenu un signe d’intelligence, des salons parisiens aux comptoirs
de bistrots, quel joli paradoxe français que de commémorer nos défaites et pas
nos victoires !
Il serait temps pourtant, selon le mot du philosophe italien Gramsci,
d’« opposer au pessimisme de l'intelligence, l’optimisme de la volonté ».
Je ne pense pas que notre pays soit plongé dans un gouffre si abyssal qu’il ne
saurait plus faire face aux défis qui le guettent, du textile chinois à la
grippe aviaire en passant par la situation des banlieues ou le déficit
budgétaire. Et c’est aussi pour cela que la bataille d’Austerlitz doit être
célébrée. Car si cette victoire mérite que l’on s’y attarde, ce n’est pas
seulement pour répondre, dans un élan nostalgico-déprimé, à un besoin
orgueilleux de réconforter nos ego de citoyens français maltraités à grands
coups de 29 mai et de JO 2012.
Sachons tirer les leçons du passé, pas seulement
celles de nos erreurs, mais aussi celles de nos victoires. Qu’avons-nous appris
d’Austerlitz, ou plutôt, qu’aurions-nous dû en apprendre ? Peut-être ce que
Napoléon, déjà, avait à en dire lors de son discours à ses troupes
victorieuses : « Vous leur avez appris qu'il est plus facile de nous braver et
de nous menacer que de nous vaincre ». Voilà l’état d’esprit des
vainqueurs, voilà le leitmotiv qui nous manque aujourd’hui !
Certes, les temps ne sont pas faciles pour
beaucoup de nos concitoyens. Délocalisations, chômage… la mondialisation
inquiète. Mais on oublie trop souvent que celle-ci ne se résume pas seulement à
plus d’échanges de biens et plus de libéralisme économique, mais aussi à plus
d’échange d’informations, plus d’échanges d’hommes. Ce ne sont pas seulement des
entreprises ou des balances commerciales qui se rapprochent, ce sont des
cultures qui se découvrent et apprennent à se connaître, malheureusement parfois
dans la confrontation. Ne vient-on pas de nous apprendre que le patriotisme de
la perfide Albion s’accommode, lui, sans que cela suscite l’émotion des pouvoirs
publics, des syndicats ou des sujets de sa gracieuse Majesté, de l’arrivée
massive de capitaux étrangers dans son économie ?
Et l’on veut nous faire croire que la France ne
saurait survivre à pareille évolution ? Au contraire, je suis convaincu que nous
avons tout à gagner de cette évolution, pourvu que nous sachions y faire face,
comme Napoléon face aux troupes russes et autrichiennes, dans cette
confrontation des trois Empereurs, avec intelligence.
Vous avez commencé à le faire, Monsieur le
Premier Ministre, comme le montre la mise en place prochaine des 67 pôles de
compétitivité français, dont 15 sont reconnus « mondiaux » ou « à vocation
mondiale ». J’ajoute, non sans plaisir et fierté, que deux d’entre eux sont
prévus dans la ville d’Issy-les-Moulineaux : le pôle mondial SYSTEM@TIC
PARIS-REGION, et celui à vocation mondiale « Images, Multimédia et Vie
Numérique ». Ces projets sont le fruit d’une réflexion fertile sur les valeurs
ajoutées que la France peut réellement apporter à l’économie mondiale
aujourd’hui, ils sont une force et une chance.
De même, la France a trouvé une position tout à fait personnelle, intéressante, et stimulante dans le cadre des relations diplomatiques. Sans prôner une opposition systématique à la politique étrangère américaine, elle a su démontrer qu’il existe une alternative à la Realpolitik américaine. Confrontés à une vision belliqueuse des relations internationales, où les rapports entre Etats ne seraient qu’une confrontation de puissances au sein d’un jeu gagnant/perdant, nous avons, notamment lors de la guerre en Irak, défendu la conviction que les rapports entre Etats devraient être régis par des principes de négociation multilatérale et de consensus, au sein d’un jeu pacifique « gagnant/gagnant ». Est-il nécessaire de rappeler le succès que nous avons rencontré alors, et auquel vous avez contribué ?
Voilà les enseignements d’Austerlitz ! Montrons notre volonté de victoire,
trouvons notre place et affirmons là, tout en sachant rester humbles, comme
Napoléon se retira du champs de bataille il y 200 ans pour mieux surprendre
l’ennemi par la suite !
En commémorant Austerlitz, nous ne célébrerons pas la défaite de nos adversaires, mais la victoire de la France audacieuse et volontaire, fidèle à l’esprit « qu’impossible n’est pas français ! ». C’est avec cette France-là que l’avenir peut se dessiner. Et il nous suffira de dire « j’étais de ceux qui ont cru en la France » pour que l’on nous réponde « voilà un brave ! ».
Lettre ouverte de Mr. André Santini adressée au 1er ministre Mr. Dominique de Villepin.