lundi 21 novembre 2005

Adresse au Premier Ministre pour Austerlitz

 Monsieur le Premier Ministre,

Vous qui avez – et avec quel talent – exalté le génie de Napoléon pendant les Cent Jours, vous qui avez défendu – et avec quelle ardeur – la fierté de la France  au siège des Nations-Unies à New-York, vous qui, en héritier du général DE GAULLE, célébrez à chaque occasion la grandeur de notre pays, pouvez-vous tolérer qu’aucune célébration officielle ne soit prévue pour  commémorer le bicentenaire de la victoire d’Austerlitz, le 2 décembre prochain ?
Pourtant, voici l’une des plus belles victoires françaises ! Gergovie, Marignan, Austerlitz… tous les écoliers de France connaissent ces noms de batailles glorieuses.
La commémoration de cette victoire me paraîtrait en tout cas autrement plus pertinente que d’envoyer notre cher porte-avion Charles-de-Gaulle… à Trafalgar !! Au moment où s’étendre à n’en plus pouvoir sur le « déclin de la France » est devenu un signe d’intelligence, des salons parisiens aux comptoirs de bistrots, quel joli paradoxe français que de commémorer nos défaites et pas nos victoires !
Il serait temps pourtant, selon le mot du philosophe italien Gramsci, d’« opposer au pessimisme de l'intelligence, l’optimisme de la volonté ».

Je ne pense pas que notre pays soit plongé dans un gouffre si abyssal qu’il ne saurait plus faire face aux défis qui le guettent, du textile chinois à la grippe aviaire en passant par la situation des banlieues ou le déficit budgétaire. Et c’est aussi pour cela que la bataille d’Austerlitz doit être célébrée. Car si cette victoire mérite que l’on s’y attarde, ce n’est pas seulement pour répondre, dans un élan nostalgico-déprimé, à un besoin orgueilleux de réconforter nos ego de citoyens français maltraités à grands coups de 29 mai et de JO 2012.

Sachons tirer les leçons du passé, pas seulement celles de nos erreurs, mais aussi celles de nos victoires. Qu’avons-nous appris d’Austerlitz, ou plutôt, qu’aurions-nous dû en apprendre ? Peut-être ce que Napoléon, déjà, avait à en dire lors de son discours à ses troupes victorieuses : « Vous leur avez appris qu'il est plus facile de nous braver et de nous menacer que de nous vaincre ». Voilà l’état d’esprit des vainqueurs, voilà le leitmotiv qui nous manque aujourd’hui !
 

Certes, les temps ne sont pas faciles pour beaucoup de nos concitoyens. Délocalisations, chômage… la mondialisation inquiète. Mais on oublie trop souvent que celle-ci ne se résume pas seulement à plus d’échanges de biens et plus de libéralisme économique, mais aussi à plus d’échange d’informations, plus d’échanges d’hommes. Ce ne sont pas seulement des entreprises ou des balances commerciales qui se rapprochent, ce sont des cultures qui se découvrent et apprennent à se connaître, malheureusement parfois dans la confrontation. Ne vient-on pas de nous apprendre que le patriotisme de la perfide Albion s’accommode, lui, sans que cela suscite l’émotion des pouvoirs publics, des syndicats ou des sujets de sa gracieuse Majesté, de l’arrivée massive de capitaux étrangers dans son économie ?
 

Et l’on veut nous faire croire que la France ne saurait survivre à pareille évolution ? Au contraire, je suis convaincu que nous avons tout à gagner de cette évolution, pourvu que nous sachions y faire face, comme Napoléon face aux troupes russes et autrichiennes, dans cette confrontation des trois Empereurs, avec intelligence.
 

Vous avez commencé à le faire, Monsieur le Premier Ministre, comme le montre la mise en place prochaine des 67 pôles de compétitivité français, dont 15 sont reconnus « mondiaux » ou « à vocation mondiale ». J’ajoute, non sans plaisir et fierté, que deux d’entre eux sont prévus dans la ville d’Issy-les-Moulineaux : le pôle mondial SYSTEM@TIC PARIS-REGION, et celui à vocation mondiale « Images, Multimédia et Vie Numérique ». Ces projets sont le fruit d’une réflexion fertile sur les valeurs ajoutées que la France peut réellement apporter à l’économie mondiale aujourd’hui, ils sont une force et une chance.
 

De même, la France a trouvé une position tout à fait personnelle, intéressante, et stimulante dans le cadre des relations diplomatiques. Sans prôner une opposition systématique à la politique étrangère américaine, elle a su démontrer qu’il existe une alternative à la Realpolitik américaine. Confrontés à une vision belliqueuse des relations internationales, où les rapports entre Etats ne seraient qu’une confrontation de puissances au sein d’un jeu gagnant/perdant, nous avons, notamment lors de la guerre en Irak, défendu la conviction que les rapports entre Etats devraient être régis par des principes de négociation multilatérale et de consensus, au sein d’un jeu pacifique « gagnant/gagnant ». Est-il nécessaire de rappeler le succès que nous avons rencontré alors, et auquel vous avez contribué ?


Voilà les enseignements d’Austerlitz ! Montrons notre volonté de victoire, trouvons notre place et affirmons là, tout en sachant rester humbles, comme Napoléon se retira du champs de bataille il y 200 ans pour mieux surprendre l’ennemi par la suite !
 

En commémorant Austerlitz, nous ne célébrerons pas la défaite de nos adversaires, mais la victoire de la France audacieuse et volontaire, fidèle à l’esprit « qu’impossible n’est pas français ! ». C’est avec cette France-là que l’avenir peut se dessiner. Et il nous suffira de dire « j’étais de ceux qui ont cru en la France » pour que l’on nous réponde « voilà un brave ! ».

Lettre ouverte de Mr. André Santini adressée au 1er ministre Mr. Dominique de Villepin.